Mesures compensatoires : « les gens ne voient que la couleur de l’argent mais ils ne mesurent pas les conséquences de leur réinstallation »

Dans la préfecture de Boffa, environ 150 km de Conakry, plusieurs sociétés minières misent sur l’exploitation du minerai de bauxite. Ces activités ne s’exercent pas sans conséquences auprès des communautés. Pour comprendre le processus de compensation, le niveau d’implication des parties prenantes, les instruments juridiques utilisés, etc. AMINES Guinée est allée à la rencontre du directeur préfectoral de l’agriculture de Boffa, le Dr Alsény Camara. Entretien !

AMINES-GUINEE : Avant qu’une société minière s’installe dans une localité à Boffa, comment se déroule le processus ?

Dr Camara : Avec les communautés, il y a quelque chose qu’il ne faut pas ignorer. Vous savez, l’Etat a une force. Si l’Etat a besoin d’une zone où il estime qu’il y a une ressource minière, on est tenu obligé d’agir. Parce que les sociétés qui viennent, et qui ont vu cette ressource qui est une potentialité économique pour le pays, dès qu’elle est inventoriée, sans faute, nous sommes tenus d’agir.

Comment vous procédez dans votre agissement ?

 Nous procédons à une sensibilisation. Parce que ce qui t’appartient, t’appartient. Il ne faut pas oublier que peut être là où se trouve cette ressource, c’est une source pour les producteurs. Car, c’est là-bas qu’ils gagnaient leur quotidien.

Alors, si ce mouvement d’ensemble est un processus où tous les acteurs sont impliqués, il y a la sensibilisation, la compréhension et ils ont les mêmes niveaux d’information. Je crois que ça ne pose pas des problèmes.

C’est pourquoi généralement tous ceux qui ont évolué dans ce cadre-là, ici, ont commencé par l’information et la sensibilisation des communautés. Les gens ont été informés qu’ils doivent être compensés. Je l’ai vu, personne n’a été offensée, ni occultée.

Quel est votre niveau d’implication dans ce processus ?

Les sociétés  nous sollicitent pour les accompagner dans la mise en œuvre de leurs projets. Par exemple, Bel Air Mining  (BAM), j’ai été leur consultant au niveau préfectoral. J’ai accompagné l’entreprise dans plusieurs domaines : le dénombrement des arbres fruitiers et l’inventaire. Et à chaque fois que la compensation est programmée,  j’étais impliqué en tant que observateur et accompagnateur de ce programme. Ce sont des paysans que nous encadrons et qui ont travaillé longtemps sur les montagnes. Donc à chaque fois que la zone est impactée, nous sommes obligés d’être avec eux et eux aussi sont obligés de nous appeler pour être témoins des faits.

A chaque fois que cela se passe, il y a la présence des directions préfectorales de l’agriculture, de l’environnement et des eaux et forêts et  celle des mines sont impliquées. Les sociétés et les producteurs sont également impliqués.

Je crois que du côté de la société Bel Air Mining il n’y a pas eu de problèmes. Cela a été valable pour Chalco. Parce qu’à chaque fois que cette société venait pour la compensation, il y a tout un arsenal qui était mené sur ce processus pour que nous soyons tous témoins des faits.

On voyait les chèques qui étaient déjà remplis selon les montants. Et si le montant n’est pas aussi élevé, on donne en espèce les montants allant d’1 million à 5 millions de francs guinéens. Avec ces montants, on n’avait pas besoin de fatiguer le producteur pour aller faire un à deux jours pour être à la possession de son dû. Nous avons été témoins de ça notamment dans le district de Soumbouyadi où la société a payé sur le champ.

Dans le processus, tout ne peut être parfait. S’il y a des erreurs, comment cela se règle ?

S’il y a des petites erreurs dans le comptage, parce qu’ils utilisent des matrices différentes. Celles utilisées pour les cultures vivrières ne sont pas les mêmes avec les cultures maraichères. Il y a ce processus qu’il ne faut pas ignorer. Mais ce qui reste clair, la personne qui peut être victime est présente au moment de l’inventaire. Le président du district fait partie et il y a une commission de genre qui est présente dans ces zones, il y a un représentant de la jeunesse, un élu et un sage pour qu’ils soient tous témoins. Et sans mettre de côté le bureau d’étude qui a décroché le marché pour faire ce travail. Je crois que ce processus est salutaire et il faut le comprendre comme ça.

Quand ce travail se fait, le comptage est fini et que les gens sont d’accord qu’ils doivent être compensés. Mais avant, nous sommes tous invités à une réunion à la commune pour qu’on s’explique comment le travail a été fait. Je crois qu’on n’a pas été effleuré ou oublié quelque part.  Parce que tous les acteurs impliqués dans le processus sont réunis et s’il y a des parties sombres à éclairer, on les expose et s’il y a des questions à poser, chacun est libre. Je crois qu’il faut les remercier et les féliciter dans ce cadre-là.

Laissez-moi revenir sur cette question !  Avant l’implantation d’une société minière sur un site, est-ce que les communautés sont réellement informées des vrais impacts qui pourraient advenir sur l’environnement, la santé et les infrastructures ?

Je vous cite une anecdote : « On ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs ». Les gens sont informés. Mais il y a un élément qu’il ne faut pas oublier. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas mesuré la portée de ça sont pressés quand ils voient 100, 200 ou 300 millions GNF dans les mains de quelqu’un. Mais ils oublient que là où ils sont, c’est là où ils vont passer toute leur vie.

Quelqu’un qui est né dans une localité, il y a grandi, il s’est marié, il a des enfants, des petits ruminants, des espaces agricoles, si on le fait quitter là-bas, c’est qu’on a attenté à une partie de sa vie. Parce que quand il quitte, partir dans une nouvelle zone, pour s’adapter à un nouvel environnement, ça va lui prendre beaucoup de temps.

Les  gens ne voient que la couleur de l’argent mais ils ne mesurent pas l’impact de leur départ. Quand ils quittent, ils ne peuvent plus revenir d’où ils se sont habitués. Les terres qu’ils ont l’habitude de travailler ne leur seront plus accessibles. Les superficies qu’ils avaient ne sont plus les mêmes.

Quand les sociétés viennent, les gens peuvent avoir de l’argent. Ils peuvent construire des maisons, se marier, mais après, comment ils vont mener leur vie ? Les conditions dans lesquelles ils vivaient avant, est-ce que ça seraient les mêmes conditions de vie? Il y a tous ces aspects qu’il ne faut pas ignorer.  

Quel est l’instrument juridique consensuel utilisé par les sociétés pour faire la compensation ?

Il y a un document auquel se servent les différents cabinets. Mais je trouve que c’est un vieux document. Ce document doit être réactualisé maintenant parce qu’il ne répond plus aux réalités actuelles. Si vous remarquez les matrices que Rio Tinto a utilisé ailleurs et celles que BAM a utilisé, est-ce que ce sont les mêmes matrices ? Non !

Il a été toujours dit et c’est ce qu’on a constaté, la matrice qui a été utilisée et qui continue d’être utilisée est celle qui est au ministère de l’agriculture. Mais si vous voyez les formules, vous verrez qu’il y a une grande différence. Les formules utilisées pour les cultures vivrières et celles appliquées aux cultures pérennes ne sont pas les mêmes. (…) C’est ce document du ministère de l’agriculture qui est utilisé et il reste le document de référence pour toutes les sociétés. Tous les bureaux d’études se servent de ça pour travailler.

Comme la science évolue, je voudrais qu’on l’améliore un peu. Parce que les formules utilisées juste après l’indépendance de la Guinée quand les sociétés minières ont commencé à s’installer, ce sont les mêmes formules utilisées aujourd’hui. C’est comme un dictionnaire, après dix ans, il n’est plus au top.

A Boffa, est-ce qu’il y a une société minière qui a utilisé d’autre formule outre celle du ministère de l’agriculture dans le cadre de la compensation ?

J’ai vu quelque part que ce n’est pas la même chose. Parce qu’il faut se dire la vérité, les formules ne sont pas les mêmes.

Oui, c’est quoi la différence et qui a utilisé ces formules ?

J’ai un document ici, accès sur la compensation. Cette formule est différente, mais ça aboutit au même résultat. Ce sont les procédures qui diffèrent. Ce qui est important ici, c’est l’objectif atteint. Que personne ne soit brimée. Aujourd’hui, plus le dollar prend du coût au niveau international, plus la valeur de la spéculation est prise en compte. Je crois que c’est un élément qu’il faut apprécier.

Quel est le nombre de personnes impactées par ces sociétés ?

Je ne peux pas vous faire un bilan pour ça. Mais ce que je sais, aujourd’hui il y a onze (11) sociétés qui se sont annoncées sur le terrain. Et toutes ont leur permis d’exploitation. Dans la pratique, cinq (5) sont en train d’évoluer.

Quelles sont ces cinq sociétés ?

Il y a Bel Air Mining (BAM), Chalco, Eurasien ressources; China Power Investment (CPI), Kimbo et Mineral Sands Consultant SARL.

Compensations, communautés paysannes et espaces agricoles : connaissant les problèmes des communautés impactées quelques années après les compensations, quelles autres alternatives préconiseriez-vous aux sociétés pour que cela soit pérenne ?

A chaque fois que je suis convié à une rencontre dans le cadre de la compensation, j’ai un seul mot d’ordre. « L’argent-là, acceptez de le fructifier. Cherchez des petites activités génératrices de revenus. Si vous ne faîtes pas ça, vous allez acheter des choses qui ne vous serviront pas à grand-chose ». Ce qu’on a constaté, des gens ont acheté des habits, ils se sont mariés, d’autres ont acheté des motos, des véhicules de troisième main. J’ai vu ça à BAM. Tu vois un vieux qui était dans une maison qui est complètement en usure physique, il va acheter un muni bus de 3ème main,  chaque jour il est chez le mécanicien. L’argent est fini, il est assis. Généralement, ce sont eux que vous voyez dans les zones rurales en train de barrer la route aux machines c’est parce que leur argent est fini.

Ceux qui ont eu l’esprit et la création d’entreprise, eux ils ne se plaignent pas. Ils ont fructifié leur argent, ils ont eu leur maison, ils sont allés acheter d’autres domaines pour donner en location. C’est pourquoi nous leur disons de venir auprès de nous on va les aider à monter un petit projet pour eux. On met nos techniciens à leur disposition pour monter le projet en fonction du domaine dont ils disposent.

Malgré les nombreuses propositions de solutions, il y a des mécontentements et ça cause des conflits. Comment les différends entre communautés et sociétés minières sont gérés à Boffa ?

Je crois que c’est un aspect qui ne relève pas de mes attributions. Mais à chaque fois que cela s’est posé, j’ai compris que si c’est les partenaires et les communautés ou vice versa, ça se règle à l’amiable.

Dans les documents, vous verrez c’est écrit que tout problème ou toute opposition qui va naître à partir de ça, la partie est tenue obligée de convoquer les parties en conflit pour régler à l’amiable avant de remonter au niveau supérieur. Je crois qu’il y a des comités qu’ils ont installés dans les zones impactées. Donc ça ne pose pas de problèmes.

Vous voulez dire qu’il n’y a pas de conflits ?

Il y a toujours des problèmes, mais ça s’arrange au niveau des communautés. J’ai eu l’opportunité d’assister deux fois. Il y avait un problème avec un producteur et BAM. On avait compté ses palmiers, mais il n’était pas d’accord. Après on a convoqué tous les acteurs qui étaient impliqués dans le processus et on a recompté un à un. Finalement, il a compris que le nombre de plants qui avaient été annoncés et ce qu’on a compté à nouveau, il n’y avait pas de différence. L’affaire a été arrangée.

Quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques que vous avez remarquées dans le processus de la part des sociétés?

D’abord, les bonnes pratiques, chaque fois qu’il y a un cadre de concertation, nous sommes conviés à la rencontre. Et à chaque fois qu’il y a un programme de compensation, nous faisons partie.

Bel Air Mining, je l’ai apprécié par rapport aux autres sociétés. Les gens qui ont été compensés ont noué un partenariat avec la direction préfectorale de l’agriculture. J’ai réalisé 25,5 hectares pour ces gens dans le cadre de l’anacarde. 

Et pourquoi ?

Parce que nous sommes une structure étatique pérenne. Peut-être, il y a des sociétés qui ont travaillé et qui ne nous ont pas associé pendant l’inventaire. Les principes voudraient que l’agriculture ait un témoin. Que le bureau d’étude accepte de faire un partenariat de collaboration avec nous. Qu’on prenne au moins en charge un technicien de l’agriculture. Parce que si vous voyez le montant global de la compensation par rapport à la prime de deux jours d’un technicien, ce n’est rien. Chalco l’a fait. Au comptage, l’agriculture était représentée. BAM aussi la même chose. Mais les autres sociétés ont travaillé avec les bureaux d’études. Donner un milliard aux bureaux d’études, nous ne sommes pas contre. C’est leur prestation. Mais c’est nous qui sommes sur le terrain.

C’est normal de travailler avec les bureaux d’études, mais ils ne sont pas supérieurs à nous. Les bureaux d’études viennent, ils s’adressent seulement au service de l’environnement des eaux et forêts. Mais attention, ce service n’est pas supérieur à l’agriculture. Chacun de nous a un domaine de compétence bien déterminé. Les 80% des gens qui sont compensés sont des producteurs. C’est nous qui les défendons. C’est nous qui les conseillons. On doit nous impliquer dans ce processus. Ce n’est pas l’argent que nous voyons, mais c’est pour que nous soyons témoins aujourd’hui et demain. Entretien réalisé par Aliou BM Diallo

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